Voici quelques semaines le monde apprenait que le groupe Facebook changeait d’univers et accessoirement de nom. Une vidéo de 40 minutes, animée par Marc Zuckerberg debout devant un poêle à bois, présentait ainsi Meta et son métavers – metaverse en californien. Un univers augmenté donc, méta désignant « ce qui est sur un plan différent permettant de voir différemment le plan initial » (Olivier Ertzscheid). En d’autres termes il s’agit d’accéder en tant qu’avatar, depuis un casque ou autres lunettes connectés, à différents espaces virtuels « allant du bureau d’entreprise digital à des espaces ludiques » (Critikat). En théorie nous pouvons alors imaginer des métaespaces vierges de plan, capables d’accueillir toutes les imaginations, notamment en matière de design.
En théorie seulement. Parce que nous parlons ici de Zuck, dont le visage inexpressif correspond à sa faculté d’entreprendre uniquement dans le champ commercial. Son métavers n’a ainsi rien de « rupturiste », pour reprendre le terme utilisé par Gilles Deléris en septembre dernier à la conférence « Design & Contributing, dess(e)ins croisés », pendant la Design Fashion Week. Reprenant alors l’analyse du designer néerlandais Marijn van de Poel : « le design est présent pour être la rupture entre usages et conventions ». Une hérésie pour Facebook, où le métadesign se limite à « la perspective rabougrie du réalisme et de la transposition du monde physique au sein du numérique » (Critikat).
Même constat pour le blogueur Cyroul (Cyril Rimbaud, Pdg de Curiouser) quand il dit que « [Marc Zuckerberg] est donc en train de créer un univers virtuel et il n’a pas un seul designer capable de refondre son ergonomie préhistorique ». Car ce métavers-là se contente de reprendre ceux de Second Life (2003) ou de Minecraft (2009) – eux-mêmes inspirés du roman Snow Crash de Neil Stephenson (1992). A priori les ingénieurs de Facebook n’ont pas vu le film Ready Player One de Steven Spielberg (2017). Ce film qui « peut-être est allé le plus loin dans la suprême malléabilité des corps et des espaces que permet l’image numérique, dans le feuilletage d’une matière polyforme qui s’offre à l’œil alors même qu’elle est déjà en train de se recomposer en autre chose, en un autre espace qui n’obéit plus, d’une seconde à l’autre, aux mêmes dimensions, aux mêmes lois gravitationnelles, dont la consistance rejette la rigidité pour embrasser l’ensemble des possibles qui s’ouvrent à l’imagination » (Critikat).
Pourtant ne doutons-pas que les marques, notamment de luxe, prendront dès que possible un pied-à-terre sur le métavers Facebook, comme elles l’avaient fait sur Second Life – elles, et plusieurs candidats à la présidentielle française de 2007. Ailleurs, sur Fortnite par exemple, des rappeurs, ou plutôt leur avatar, donnent des concerts (celui de Travis, l’année dernière, a attiré douze millions de spectateurs). De leur côté Gucci ouvrait en mai une réplique virtuelle de son musée florentin au sein d’un métavers dédié où l’on paye « l’étiquette de son petit sac à main » plus cher que dans une boutique IRL, et Chanel annonçait que « dorénavant, il ne sera possible d’acquérir – dans le monde réel – qu’un seul sac de la Maison par an » (INfluencia). Reste à savoir comment les marques imaginent le métadesign. Parce que Spielberg ne peut pas être partout…
Si les marques sont d’ores et déjà dans les starting-blocks, elles n’ont pas attendu l’ouverture du métavers Facebook pour construire leur propre univers, leur version corporate du monde d’après l’après. Comme chez Balanciaga, qui produit pour sa collection automne 2021 un film « en 3D temps réel » (aka motion capture) très en phase avec la pensée post-futuriste de Zuck, où la réalité existe uniquement à travers un casque, évidemment contrôlé par Meta. Dans ce film très Meta-compatible donc, deux réalités cohabitent. Hors masque nous vivons en sous-sol, dans un hangar géant, froid, sombre. Brrrr. Sous masque nous vagabondons au milieu d’une ville qu’un Oscar Niemeyer aurait pu dessiner, mais sans le soleil. Sauf à tomber amoureux, auquel cas on a le droit de danser à la campagne, sous un cerisier (?) rose et virevoltant. Au final, ni métadesign ni métaarchitecture – juste une métamode laissant toute sa place à des avatars de luxe.
Et qui trouvons-nous aux manettes de ce film : Quantic Dream, développeur et éditeur de jeux vidéo. Pour une raison simple, l’univers du gaming reste à la pointe des métavers, de la blockchain et des NFT – d’après les « estimations » du site L’ADN, « les jeux vidéo ont amassé plus de 2,8Mds$ en levées de fonds depuis janvier 2021 ». Mais qu’en est-il, chez les gamers, du métadesign ? Prenons un exemple dans ce monde parallèle des jeux, The Sandbox (société française basée à Hong Kong), qui « s’apparente à un métavers dans lequel il est possible d’acheter des terrains virtuels puis d’y créer des jeux et autres lieux que les autres joueurs peuvent visiter – quelque 165 marques auraient déjà acheté des parcelles ». Voyons alors à quoi ressemblent ces « lieux » en construction.
Et oui, en guise de lieu virtuel on construit une villa à Saint-Tropez avec bureau comme au boulot, piscine en L et terrasse Ikea. Personne ne semble penser à construire une maison-bulle flottant sur un nuage au-dessus du Tréport d’où il serait possible de travailler sur une table pentagonale aimantée au plafond, un avatar pouvant tout-à-fait vivre la tête en bas. Certes il existe d’autres exemples (comme l’exposition virtuelle Kid A Mnesia de Radiohead) plus révolutionnaires en la matière mais beaucoup moins commerciaux et pas du tout grand public – l’enseigne Carrefour ou la mairie de Séoul n’ont pas signé par hasard avec le métavers Facebook. Cependant ce constat pose une question primordiale. Si le design, comme le dit encore Gilles Deléris, « est par essence contributif, car il mute constamment, présent pour rendre la pensée visible », le métadesign peut-il vivre sans designers ? Non. Alors là encore il va s’agir d’occuper la place pour que le design garde son identité et toute sa créativité de l’autre côté du masque.
Photo d’illustration : concert Ariana Grande sur Fortnite (via Sifted)
Sources
« Faire entrer marques et usages dans la légende grâce au design », par Vincent Thobel, L’ADN (15/11/2021)
« Métavers : est-ce le prochain enjeu à surveiller de près pour les communicants ? », par Olivier Cimelière, le Blog du Communicant (31/10/2021)
« L’oasis selon Zuckergerg », par Corentin Lê, Critikat (02/11/2021)
Newsletter N°365, Balistik Art (03/11/2021)
« MÉTA. ET LES GAFAM DIRENT MAMAA. », par Olivier Ertzscheid, affordance.info (29/10/2021)
« Meta mère ? », par Cyroul, cyroul.com (05/11/2021)