La marque Porsche adore marier aujourd’hui et hier. En 2020 avec sa « Targa 4S Heritage Design », et actuellement avec la « 911 Sport Classic ». L’héritage du classique, en quelque sorte. Cette fois le constructeur allemand met en scène (sur une chanson de 1971 signée Shirley Bassey, Where Do I Begin, la classe) un couple qui rattrape son passé malgré les routes sinueuses – de la vie, paraboliquement. Mais si la nouvelle Porsche va plus vite que l’ancienne, jamais elle ne la dépasse. Aussi supérieure technologiquement soit-elle, la modernité honore la tradition et le « twin-turbo flat-six engine » respecte la mémoire. La force du présent relève de cette capacité à revivre l’histoire.
Un hymne au passé donc, vu de notre fenêtre, là, maintenant. Passé de luxe, présent de luxe. C’est Porsche, c’est logique. Chez Renault, c’est une autre histoire. Le constructeur français donne, lui, dans le futur. Le moteur à explosion a disparu, laissant deux possibilités en matière de mobilité : le cheval (d’où le titre de son dernier film, Horses) ou l’électrique. Chacun son identification du luxe. Dans un avenir indéfini, une femme au volant de sa « Megane E-Tech » sort d’une ville dont les habitants sont devenus cavaliers par défaut. C’est beau. Mais moins qu’une voiture – qui n’a même pas besoin de foin. Ici le passé se veut démultiplié, effaçant dans le même temps un XXème siècle automobile et son retour obligé au Far-West.
Porsche, Renault. Deux identités, deux approches de l’Histoire – l’une par l’avant, l’autre par l’après. Chez le fabricant allemand, le présent, parfait, fait honneur à un passé idéalisé. Chez le Français le passé est oublié, le présent faisant mieux. Deux approches marketing, luxe d’un côté, pragmatisme de l’autre. Mais une même stratégie : vendre le temps. Comme si le design ne concernait plus le produit, mais son histoire. Et qui parle d’histoire invoque la nostalgie, qui deviendrait alors un biais destiné à vendre les produits dérivés d’un grand rewind. Une approche définitivement marketing du passé, histoire de nous faire miroiter un avant plus cool que maintenant. Une sorte d’Amazon de la madeleine de Proust…
C’était là, en tout cas, le sujet d’une table ronde organisée par Logic Design et L’ADN le 14 avril dernier, sous la verrière « mythique » mais flambant neuve de la Samaritaine, autour de cette question : La nostalgie, un levier d’innovation ? Si pour les intervenants la réponse est oui, leurs définitions de la nostalgie posent une autre question. « Préférence envers des objets familiers quand on était plus jeunes » pour le marketing, « désir d’un passé idéalisé » pour la psychiatrie. Soit. Mais de quel idéal familier parle-t-on ? Celui d’une résurrection de l’objet regretté, comme la nouvelle gamme DS Automobiles ? Celui d’un « réenchantement » du monde, avec la réouverture d’un Orient-Express hightech ?
Dans tous les cas il s’agit de designer l’histoire commune d’une clientèle sensible à une nostalgie partagée. Mais voilà… Cette nostalgie-là, positivée par un marketing bien-pensant, se veut lisse. Présenté comme tel, donc ressenti comme tel, le passé (comme le futur, d’ailleurs) reste en tout point admirable. Or, admettant que le design a pour fonction principale de produire des objets, que peut-il faire en matière de souvenirs – hormis en créer de nouveaux à partir d’une critique historique, seule à même de pouvoir revisiter un passé pour le corriger au présent ? On peut regretter la brouette à l’heure des Fenwick, mais se souvient-on de la condition humaine avant l’invention de la roue ?
Au-delà de la technologie, une approche « politique » du passé permet ainsi de corriger certaines erreurs dans son appréciation. Si le fauteuil Penta, que nous rééditons, est lui aussi né dans le passé, ses créateurs, en 1970, intégraient au projet une vision critique de leur présent, y apportant des idées neuves – esthétisme accessible, matériaux bruts à l’heure du tout plastique, durabilité du produit, adaptation à la réduction des surfaces de vie (les appartements se résumant de plus en plus, alors, à un métrage fonctionnel), éco-conception. Le présent d’alors n’étant pas tout rose, autant faire quelque chose. D’où notre regard, non moins critique, aujourd’hui, sur la considération mercantile de cette nostalgie « molle ».
Penta, c’était mieux maintenant.
Crédits photo : Torsten Klinkow – Love is in the air