Cet été le Comité Colbert commandait à l’Ifop une étude intitulée le luxe français, une valeur sûre dans le monde qui vient. Réalisée en France, aux États-Unis et en Chine, ladite étude « souligne la prééminence de la France dans ce secteur, si désirable pour les Américains et les Chinois ». Soit, mais qu’en est-il du « mobilier, design » dans cette analyse du luxe ?
Commençons par quelques constats issus de ce sondage : dans les trois pays la crise sanitaire a amplifié l’envie d’acheter des produits de luxe, qui répondent à des ambitions communes (valorisation de soi, plaisir, expression d’un statut), à des valeurs partagées (tradition, innovation) et au mécanisme universel du « bon investissement ».
Maintenant, la France. Elle représente le mieux le luxe pour 76% des Français (ah bon ?) et pour 64% des Chinois. En revanche 67% des Américains considèrent que c’est leur pays le meilleur représentant du luxe, mais paradoxalement donnent la meilleure note à la France en termes de « culture du luxe », quand les Chinois se l’accordent à eux-mêmes.
Quoi qu’il en soit de ces réactions un tantinet chauvines de tous côtés, la moitié des sondés disent acheter « régulièrement » des produits de luxe français. Mais ils achètent quoi ? Les Français donnent majoritairement dans la « mode et couture », quand les Américains et les Chinois pensent principalement parfum.
Détaillons ce tableau du « palmarès des catégories les plus associées au luxe français ». Hormis cette lubie française concernant la mode (et la gastronomie bien entendu), les trois pays s’accordent peu ou prou sur le reste – bijoux, vins et spiritueux, maroquinerie, montres, cosmétiques (sauf aux US), etc.
Mais quid du « mobilier, design » national ? Et bien en un mot il se place plutôt en bas du tableau, cité par 18% des Américains, 16% des Chinois et 15% des Français. Pourquoi ?
Avant tout parce que la France reste le pays des « grands noms, des grandes marques », beaucoup moins celui des « petits créateurs, artisans indépendants ». Ainsi le luxe correspond à des « grandes » marques, des maisons, ici gages de « qualité supérieure » et de « synthèse entre la tradition et la modernité ».
En d’autres termes le mobilier design (français, mais sûrement au-delà) intégrerait peu le champ du luxe, faute de grande marque estampillée. Quant aux « grands noms », qu’il s’agisse de designers ou d’architectes, ils restent l’apanage des passionnés, des spécialistes, des investisseurs. L’image de soi prévaut sur l’image de chez soi.
Du moins pour l’instant. Prenons (merci à Balistik Art pour sa veille) le dernier film Louis Vuitton, Art of living. Tourné au château de Fontainebleau, il met en scène les articles phares de la marque au milieu d’un environnement forcément très classique, dont le mobilier renaissance des lieux, auquel s’ajoutent des meubles « contemporains ».
Une belle synthèse, donc, entre tradition et modernité – musique exceptée, mais chacun ses goûts marketing. Le mobilier design y est présent, certes rapidement, mais on peut quand même y voir le signe qu’il intègre, un peu, l’univers Louis Vuitton. Bien que la marque ne fasse pas de meubles (chacun son métier), elle a besoin d’un écrin où poser ses malles.
C’est tout l’inverse chez Mobilier national, institution publique assurant la conservation et la restauration des « objets mobiliers ou textiles » des palais officiels de la République. Leur dernier film (le premier depuis dix ans de silence), réalisé par l’agence Label Famille, insiste notamment, via un long traveling latéral épuré, sur des chaises et fauteuils d’exception.
Que nous disent ces deux films ? Et bien ils répondent aux attentes exprimées par les clients du luxe, chinois, américains ou français. Tradition, modernité, savoir-faire. Alors une nouvelle question se pose : pourquoi le design ne profiterait-t-il pas de ces différents messages – subliminal chez Louis Vuitton, concret chez Mobilier national ? Alors aux designers (et aux intervenants du secteur), peut-être, de créer une « marque design », une maison globale capable, quitte à oublier cinq minutes son identité industrielle, de parler au luxe. Dans toutes les langues.
Photo d’illustration : Joachim Mueller-Ruchholtz pour Harrod’s